De nombreux observateurs relèvent une mutation structurelle du marché du droit, qui se traduit par des mouvements relativement inédits. Pénurie de collaborateurs, appétence accrue pour l’installation en cabinet individuel, pression des prix, nécessité d’innover. Mais avec toujours, au travers des générations, un manque de vocation pour les questions de marketing, de communication ou même d’organisation et de management. Ces questions sont souvent vues comme étant secondaires, non facturables, sans pour autant être externalisées et donc, par manque de temps, elles passent aux oubliettes.
Parallèlement, le manque d’attrait pour l’association dans des cabinets dits « structurés » traduit probablement autre chose que du pur individualisme : Un besoin d’agilité, difficilement conciliable avec les questions complexes et génératrices de conflits portant autour des valorisations de parts, des fixations de rémunération, des comptes courants etc… D’autant que notre profession d’avocat est clairement encore dominée par le constat d’un intuitu personae fort (et c’est plutôt rassurant) qui fait qu’en réalité, la clientèle attachée à un associé lui sera fidèle.
Par ailleurs, dans le monde de l’industrie et des services, le modèle de la franchise s’est très fortement développé dans les dernières années. Peut-être trop et de manière un peu désordonnée, mais c’est un autre débat. Tout ceci traduit le succès d’un modèle dans lequel un concept bien défini, assorti d’une méthode, peut être utilisé et répliqué par d’autres, qui demeurent indépendants, dans le cadre d’un enrichissement mutuel entre le franchiseur, dépositaire du concept, et le franchisé. L’indépendance et la propriété du fonds vont de pair avec la puissance et la notoriété de la marque, ainsi que le bénéfice des économies d’échelle. C’est une recette qui n’a plus à faire ses preuves, comme en témoigne le succès du Salon de la franchise.
Ce format peut-il trouver une forme d’intérêt dans les cabinets d’avocats ? Certains cabinets sont déjà organisés sous la forme de ce qu’on pourrait considérer comme étant une quasi franchise, avec plusieurs structures indépendantes communiquant sous la même enseigne. Mais peu proclament appartenir à un système de franchise. À quelques exceptions près, qui ont été parfois décriées, non pas en soi du fait de l’utilisation du modèle de la franchise, mais du fait d’un positionnement sur le marché avec des produits réplicables à faible valeur ajoutée, et proposé à un prix bas. Les discussions qui ont pu intervenir autour de la pertinence de cette démarche portent donc plus sur ce positionnement, que sur le modèle de la franchise en tant que tel.
On pourrait se demander s’il n’y a pas une place pour l’établissement de concepts de marque forts, permettant à plusieurs cabinets, y compris ceux déjà structurés avec plusieurs associés, de se regrouper autour d’une marque, de valeurs communes, y compris sur des prestations juridiques de moyenne ou haut de gamme. Et tout ceci indépendamment de l’appartenance, par ailleurs, à un réseau (que l’auteur de ces lignes connaît bien), qui peut faire partie des prérequis pour les franchisés, pour garantir un socle commun de valeurs et une offre de service – notamment en matière de formation -, tout en choisissant avec la franchise, en plus, un modèle beaucoup plus intégré.
Le réflexe, lorsque l’on pense à la franchise, est d’associer ce terme à des grandes marques bien connues de la malbouffe et à des produits standardisés et uniformisés. Pas de quoi faire rêver. Mais en réalité, ce stéréotype est aujourd’hui battu en brèche. Il y a quelques années, le spécialiste de la transformation digitale Pierre Sinodinos tenait d’une conférence Ted intitulée « Scaler la culture et pas le produit ». La démonstration est bluffante. La vidéo est accessible ici.
L’auteur de cette théorie plaide pour la possibilité de créer et de développer une culture de marque, tout en laissant la possibilité à chacun des franchisés de créer le meilleur des produits, en fonction des spécificités de son marché et de sa culture.
Appliqué à l’échelle de cabinets d’avocats, ceci laisse la possibilité à chacun, en fonction des besoins de sa région, des talents recrutés ou des expériences passées, de développer telle ou telle compétence fine ou pratique d’excellence. Toujours avec une culture commune et sous l’emblème d’une marque bien identifiée.
Dans cette perspective, et toujours pour contrebalancer avec les avantages et inconvénients des structures d’exercice traditionnelles, le positionnement du franchiseur, en tant qu’alternative à un exercice individuel parfois source d’isolement, serait de proposer un système dans lequel :
- l’entrée et la sortie sont simples (il suffit de ne pas renouveler le contrat de franchise une fois arrivé à son terme),
- en proposant aux franchisés de les décharger de ce qui, parfois, pêche, à savoir les domaines du marketing, de l’image, de la communication, du sourcing, entre autres.
Le franchiseur leur procure une identité forte, dont il a la responsabilité de continuer à la développer et à la faire vivre. À l’animer. Mais surtout, le format oblige le franchiseur à justifier son utilité, à défaut de quoi, le franchisé, si tant est qu’il ne soit pas tenu par une clause de non-concurrence trop restrictive, peut facilement reprendre son indépendance.
N’y a-t-il pas, dans ce format, finalement, une piste pour résoudre beaucoup des problématiques rencontrées au cours de la carrière d’un avocat ? Une alternative à l’isolement et à la nucléarisation du marché ? Une réponse aux souhaits des nouvelles générations d’avocats, et à ceux des clients qui veulent identifier rapidement une marque générant la confiance ?