La tarification horaire, talon d’Achille de la profession d’avocat.

Article publié initialement le 10 avril 2017 sur le blog : https://lejuristededemain.blogspot.com/

Parler comme je pense, parler cru.

Les avocats ! Toujours prêts à défendre leurs intérêts quitte à souvent les faire passer devant ceux de leurs clients ! Oui, c’est une réalité (J’en vois qui s’insurgent déjà !).

Lorsque vous dites aux avocats que leurs tarifs sont chers, voici leur réponse dans 99% des cas : « La qualité a un prix ! ». Ensuite, ils dégainent leur argument favori : « Nous apportons de la valeur au client. C’est pourquoi nos tarifs sont élevés. ».

Sauf qu’en réalité, cette valeur, le client a beaucoup de mal à la rattacher aux prix pratiqués par les avocats. La facturation à l’heure, mode de facturation préféré de la profession, met en relief le conflit d’intérêt qui existe entre l’avocat qui a besoin de facturer du temps pour plus de rentabilité et son client, lui, a besoin de réduire ses coûts (le coût des services qu’il achète) et de connaître la valeur que lui apporte la prestation juridique. Ce conflit a des conséquences graves pour la relation entre ces derniers et met en exergue les effets pervers de ce modèle de facturation.

Analyse.


I – État des lieux

  1. La tarification horaire en question 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais dire ma surprise quant à la quantité de documents, rapports et articles découverts lors de mes recherches sur la facturation au taux horaire. C’est assez incroyable de voir à quel point le sujet a été traité en long et en large dans des pays comme les USA, le Canada, l’Australie ou le Royaume Uni. En France, c’est différent même si les paroles se délient de plus en plus entre 4 murs… On chuchote encore tellement le sujet est brulant.

J’ai également été satisfait de la pertinence des documents découverts en ce qu’ils sont pour l’essentiel toujours d’actualité ! Pour tout vous dire, je pense que depuis le rapport de l’ABA (American Bar Association) « Commission on Billable Hours »[1] de 2002 (Oui, 2002 !), absolument RIEN n’a changé. Le document est toujours aussi cinglant de vérités et d’analyses objectives et constructives sur la pratique du taux horaire.

Bon. Tout d’abord, permettez-moi de rappeler à nos juristes de demain en quoi consiste la facturation au taux horaire (D’ailleurs, le mot « taux » est un abus de langage. En réalité, il s’agit d’un tarif horaire, mais on se comprend…).

Donc, après avoir déterminé un tarif pour une heure de travail, il s’agira pour un avocat de facturer ses services à son client en fonction du temps qu’il passera à travailler sur ses dossiers. Par exemple, si l’avocat passe 10 heures sur les dossiers de son client, ce sont 10 heures facturables à ce dernier. Le concept est dès lors aisé à comprendre et à appliquer.

En France, la facturation au taux horaire est le mode de facturation « reflex » des avocats. Beaucoup de cabinets fonctionnent sur ce mode de facturation. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est le plus simple, le plus pratique et surtout le plus rentable. En effet, c’est un mode de facturation qui présente l’avantage pour certains clients d’être transparent : oui cela peut paraître étonnant mais la facturation au taux horaire impose à l’avocat d’indiquer de façon détaillée le travail effectué (les fameuses « timesheets », feuilles de temps en français). C’est donc un moyen pour le client de contrôler le travail de l’avocat. Aussi, pour ce dernier, c’est un moyen de s’assurer une rentrée d’argent certaine. Peu importe le résultat obtenu, le client s’engage à rémunérer chaque seconde passée par l’avocat sur ses dossiers, lequel diminue le risque client tout en se garantissant un large pécule. C’est bien là le problème mais j’y reviendrai.

En remontant aux sources de la tarification horaire, on constate qu’elle a été mise en place pour la première fois en 1919 aux Etats-Unis par un certain Reginald Heber Smith avocat associé au sein du cabinet Legacy Hale and Dorr (actuel Wilmerhale) de 1919 à 1956. Il estimait que cette méthode de facturation était parfaite pour évaluer les services d’un avocat. La feuille de temps qu’il avait mise en place permettait de décrire les tâches effectuées par l’avocat mais aussi le temps qu’il consacrait à la réalisation de celles-ci. Voici ce qu’il disait : « Le service que l’avocat rend réside dans ses compétences professionnelles, mais la matière première qu’il vend au client est son temps or chaque avocat en a une quantité limitée ».[2] Bien entendu, je ne ferai pas de raccourci sur la théorie de Smith. Toutefois, il a LITTERALEMENT convaincu tous les avocats du monde entier que le temps était la valeur ajoutée de l’avocat et que par conséquent, celui-ci avait un coût. Il avait une vision bien précise du « Billable hour » qui impliquait davantage le client dans le processus de détermination du tarif que ce dernier ne l’est aujourd’hui. J’invite ceux qui souhaitent en savoir plus à se procurer « Law Office Organization ».[3]

Ce système, que les clients ont souhaité conserver (voir le rapport sur la tarification)[4], a produit les conséquences que l’on connait aujourd’hui au sein de la profession. Tous les cabinets sont structurés à l’identique sauf quelques rares (et nouvelles) exceptions : le business model a pour colonne vertébrale le taux horaire. Toute l’architecture, la structure organisationnelle interne (notamment la détermination de la rétrocession des collaborateurs) d’un cabinet repose sur ce mode de facturation (ou sur le temps). On évalue même la performance d’un avocat à sa capacité à facturer des heures ! (et non juste à la pertinence de ses analyses juridiques). Enfin, la facturation au taux horaire, c’est également un facteur déterminant pour le partage des bénéfices entre associés. Elle est la norme sur le marché des services juridiques en France.

Quelques mots sur les conséquences dramatiques qu’entraine la facturation au taux horaire au sein même de ces organisations juridiques. Dans un grand nombre de cabinets parisiens, les conditions de travail des collaborateurs sont scandaleuses et méritent d’être dénoncées. Commencer le matin à 7.30, 8h pour terminer la journée à 21.30, 22h c’est assurer l’ « obsolescence programmée » de la collaboration ! (Pardonnez ce raccourci). Les jeunes avocats sont épuisés mais surtout ne parviennent plus à séparer vie pro/vie perso, et au-delà sont dans l’incapacité de développer leur clientèle personnelle gage pourtant de leur statut de libéral. Pire encore, cet acharnement pour la course à la facturation horaire et au travail non-stop les éloigne de plus en plus de la profession… Bon, je m’arrête ici car je n’ai pas envie de m’égarer de mon sujet.

Donc, comme je l’indiquais au début, le taux horaire est le mode de facturation le plus utilisé par les avocats. Toutefois, il y en a d’autres, moins connus ou moins, voire mal utilisés (nous verrons cela plus loin).

2. Incidences de la tarification horaire sur les entreprises  (J’ai délibérément choisi de ne pas traiter des incidences de la tarification horaire sur les particuliers)

L’incidence de la tarification de la prestation d’avocat sur les entreprises apparait dès lors qu’il est question de la facturation au temps passé. Pourquoi me direz-vous ? Parce que tout simplement c’est LE mode de tarification qui ne permet pas au client de connaitre le prix « réel » de la prestation avant son accomplissement par l’avocat (c’est comme si le plombier vous proposait de réparer la tuyauterie de votre salle de bain en vous disant : « Je ne sais pas pour combien de temps j’en aurai. Le prix vous sera communiqué à la fin de mon intervention ! ». C’est fou non ?).

Le fameux « Billable hours »[5] est source de beaucoup de contentieux entre les avocats et leurs clients entreprises. Mais ce n’est pas pour les raisons que l’on croit. En effet, il serait compréhensible de se limiter à penser que la prestation d’avocat coûte chère et qu’il devient de plus en plus difficile pour les entreprises de consacrer un gros budget au « juridique ». Mais ce raisonnement ne suffit pas. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le problème est beaucoup plus profond.

Pendant des années, les clients avaient pour habitude de contester que très rarement les factures émises par leurs avocats. Il faut dire que tout le monde y trouvait son compte :

  • Ce système de tarification à l’heure existe depuis plusieurs décennies ; 
  • Le client considère qu’en rémunérant l’avocat au temps passé, il parvient à garder le contrôle sur l’évolution du coût de la prestation ; 
  • L’unité heure est simple et objective. 

Cependant, là où les avocats ont vu leurs revenus augmenter de façon impressionnante, leurs clients eux, ont vu leur budget juridique exploser. Plus les avocats augmentaient leurs tarifs, plus les clients s’intéressaient à la facture et au détail facturé. D’ailleurs, ces mêmes clients reconnaissent avoir du mal à percevoir la valeur de la prestation de l’avocat au quotidien. Oui, l’heure facturable ne traduit pas la valeur des services rendus par les avocats.

Partant de ce constat, il fallait que les clients trouvent un moyen de reprendre le contrôle sur les montants affectés au budget juridique. Sauf que ce mode de facturation rend difficile tout processus d’optimisation, de rationalisation, d’amélioration et d’efficacité.

Comme le souligne le rapport sur la tarification du barreau du Québec[6] : « Il est intéressant de comprendre le détail des heures travaillées lorsque l’on connaît le métier d’avocat. Cependant, ce n’est pas le cas pour la grande majorité des consommateurs de services juridiques. Pour un individu ou pour une petite entreprise ne disposant pas de comparable, il est souvent difficile de critiquer ou de garder le contrôle sur les dépenses de frais juridiques. »

Un exemple : votre client décide de vous confier la rédaction d’un document complexe. Vous décidez de le facturer au temps passé car il s’agit là d’un document rare, sur mesure. Votre taux est de 200 euros / heure. Vous mettez finalement plus de 15 heures pour obtenir un bon document. Du coup, le client reçoit une note d’honoraires de 3000 euros. Pourtant, sur 15 heures, vous avez passé 7 heures en recherches (car vous n’aviez pas la version premium de Doctrine.fr[7]), 5 heures en rédaction (car vous n’aviez pas d’outil adapté du type Lexdev.fr[8]) et 3 heures de diligences.

Vous saisissez l’enjeu pour le client ? Voici typiquement le genre de questions qu’il peut légitimement se poser : « Pourquoi payer 3 heures de diligences ? Étaient-elles si indispensables ? »; « Quid des 7 heures de recherches ? L’avocat maitrisait-il son sujet ? »; « Me suis-je trompé d’expert ? Peut-être qu’un avocat plus expérimenté n’aurait pas mis autant de temps… »; « Et puis, je ne suis pas du tout d’accord sur le postulat choisi par l’avocat ! Je ne suis pas satisfait de la prestation (ou je suis à moitié satisfait) ! » Bref. Les interrogations du client peuvent être multiples. Et ce qui est étonnant, c’est qu’à aucun moment le client ne s’interroge sur la valeur réelle de la prestation ! Oui l’avocat, sans le vouloir, en utilisant ce mode de facturation, oblige le client à se concentrer sur la feuille d’honoraires et notamment sur le montant qui y figure.

Oui, le client paie mais ne sait pas définir la valeur que lui apporte son avocat. Il se retrouve à payer des heures donc du temps à l’avocat.

Imaginez la sensation que doit ressentir le client ! Dans le monde, je n’imagine personne payer du temps pour quoique ce soit ! C’est tout simplement impensable ! Et pourtant, les clients qui sont facturés au taux horaire, acceptent de fait, de payer du temps (et ici je fais référence à beaucoup de métiers où le temps passé reste le mode de facturation privilégié). La frustration est immense, la valeur de la prestation d’avocat inexistante…

Finalement, on se rend bien compte que du côté de l’entreprise, le problème n’est pas nécessairement le montant de la prestation d’avocat mais celui-ci corrélé avec la valeur de ladite prestation. La question que se pose le client est la suivante : le prix correspond-il à la valeur (ressentie) que procure la prestation d’avocat à mon entreprise ?

Vous constaterez que cette question amorce mécaniquement le processus de contestation d’honoraires. Comme l’indiquait à juste titre Caura Barszcz dans un édito en 2016[9] : « Tant que les heures restent l’unité de mesure du succès en cabinet, il y aura donc un hiatus avec les clients. » (Cet édito vous donnera par ailleurs une idée sur les taux horaire pratiqués dans certains cabinets en France).

Il faut savoir que cette inadéquation entre heures facturées et valeur pour le client a des conséquences au quotidien pour les entreprises :

  • Prédictibilité difficile des coûts ; 
  • Communication malaisée avec l’avocat ; 
  • Manque de confiance et défiance systématique de l’avocat. 

Aussi, il apparait que les clients n’ayant plus envie de payer la formation des jeunes collaborateurs (notamment lorsqu’ils se rendent compte que le travail qui leur est facturé est fait par un collaborateur de 1ère année !), négocient systématiquement les honoraires lorsque ces derniers leur semblent excessifs. Ici aussi, la valeur est mal perçue. Il est vrai que pour le client, le travail produit par le jeune avocat est souvent un travail routinier et standardisable. Il est donc logique de se demander à quoi bon payer une fortune pour une prestation qui finalement pourrait être réalisée par un logiciel par exemple…

En réponse à ces nombreuses problématiques, les entreprises ont, depuis quelques années maintenant, entrepris des changements dans la manière de consommer les prestations juridiques. Ces changements ont pour effet de bouleverser la structure des business model des cabinets d’avocats. Oui, les clients sont devenus plus exigeants et plus intrusifs (mais aussi beaucoup plus détachés). Ils ne se contentent plus de demander la baisse des tarifs :

  • Ils investissent dans les technologies disponibles[10]
  • Ils exigent de plus en plus que les avocats qui travaillent sur leurs dossiers soient expérimentés (réduction du recours aux jeunes avocats) ; 
  • Ils externalisent et ont fréquemment recours aux LPO (Legal Process Outsourcing);[11]
  • mais surtout, imposent de nouveaux modèles de tarification aux cabinets d’avocats. 

Bref. Il semblerait que la tarification au temps passé vive ses dernières années. Pourtant, sur ce plan, force est de constater que la profession d’avocat entame à peine ce chantier…


II – Plaidoyer pour la « grande transformation »[12] de la facturation

  1. Combattre le « syndrome de la psychologie horaire » 

Avant toute volonté de changement organisationnel ou structurel, il est impératif que l’esprit (la tête !) soit en harmonie avec cette volonté de changement. L’avocat doit être prêt mentalement à basculer d’un modèle à un autre. Sans un état d’esprit cohérent avec la volonté de changement, toute tentative sera vaine.

Pour opérer la « grande transformation » de la facturation il faut que chaque avocat décide d’arrêter de raisonner exclusivement en termes d’heures travaillées.

Essayons de proposer une modeste méthode.

Aujourd’hui, qu’on se le dise ; l’avocat ne peut rien faire sans penser au temps passé. C’est à la limite une maladie chronique ! La vie professionnelle d’un avocat, c’est comme dans « Time out » (pour ceux qui ont regardé le film). Le temps est précieux ! Plus on en a, plus on vit. Chez les avocats, c’est pareil : plus on facture du temps au client, plus on gagne de l’argent ! Il est psychologiquement atteint. Il passe son temps à se demander : « combien vais-je facturer au client ? », « Ah ! J’ai effectué de nouvelles diligences, je l’ajoute sur la facture ! ».

Demandez à un associé d’un cabinet d’avocat s’il souhaite innover, mettre à disposition une salle de sport pour ses collaborateurs, leur donner 8 semaines de congés par an (ou juste leur dire : « prenez des jours off quand vous le voulez ! » Les avocats ne sont-ils pas libéraux avant tout ?), la réponse sera cruellement objective et mathématique : « C’est du temps que je ne facture pas ! Je ne serai donc pas rentable ! ». Il rajoutera avec une touche d’ironie : « Eh oui ! Il faut que je facture moi ! J’ai un business à faire tourner ! ». Bon ok. Je m’arrête là.

Tout cela pour dire que penser systématiquement l’activité d’avocat en termes de temps passé, de fait, rend les avocats indubitablement réfractaires à toute possibilité de changement.

Pourtant, l’évolution du marché des prestations juridiques semble ne laisser aucun choix aux cabinets d’avocats. Il va bien falloir tout remettre à plat à un moment ou à un autre. Engager la « grande transformation » de la facturation, c’est justement accepter d’envisager le changement donc de tendre vers l’ouverture mais surtout, c’est décider de ne plus raisonner ou réfléchir exclusivement en termes de temps passé.

Tout est à revoir : de l’organisation même du cabinet en passant par son business model, à la rentabilité des collaborateurs. Toute la pyramide est à reconstruire.

Dès lors, ce « chantier » est juste inenvisageable lorsque la psychologie n’est pas prête.

L’heure facturable est un vrai parasite qui empêche d’entamer un travail de fond sur la tarification de la prestation d’avocat. Il faut vraiment combattre ce syndrome car il est addictif, contre-productif et surtout destructeur. Je le dis comme je le pense : la psychologie horaire tuera le business des avocats. Réagir et être force de propositions nouvelles, c’est l’attitude à adopter.

Après avoir passé ce cap psychologique, il conviendra d’entamer le travail de fond tant redouté : refonder le mode de facturation d’un cabinet d’avocat.  
2. Pourquoi faut-il abandonner la facturation au taux horaire ?

Selon le tout récent rapport du Centre d’étude des professions juridiques de la faculté de droit de Georgetown, nous assistons à la « mort » de la traditionnelle facturation horaire[13]. En effet, il précise : « L’un des changements les plus importants, bien que rarement reconnu, de la décennie écoulée a été la mort effective du modèle traditionnel de facturation à l’heure dans la plupart des cabinets d’avocats. » Ces propos ont bien évidemment été modérés dans la suite du texte. Toutefois, ils contribuent à mettre l’accent sur les problématiques que cause ce mode de facturation.

Pour tout vous dire, je pense que facturer un client au temps passé n’a pas de sens ! La prestation intellectuelle n’est pas quantifiable. Un avocat peut passer 6 heures sur un dossier sans apporter une seule solution à son client. Pourtant, ce dernier se retrouve contraint à payer 6 heures pour rien. A côté de cela, 3 minutes de conseils peuvent positivement transformer un client ! Les avocats doivent donc arrêter de vendre du temps. Vous imaginez les compagnies aériennes vendre le temps de trajet en taux horaire au lieu du billet d’avion en tarif fixe ?

Pour la Bâtonnière du Québec, « Ce système a des effets pervers pour les avocats et pour leurs clients. Dans les cabinets, il a fait disparaître la collégialité et incite à évaluer chacun d’après son temps de travail plutôt que ses résultats. »[14] Le juge en chef de la Cour supérieure du Québec ajoute que : « la tarification horaire encourage la multiplication des procédures et, par conséquent, elle contribue à l’engorgement des tribunaux. Pourquoi régler une cause en moins d’une journée quand on peut faire durer le plaisir pendant une semaine ? »[15] Sacrés canadiens… ! (Je les aime beaucoup)

Nous avons vu précédemment les difficultés qu’occasionne cette facturation au client et à quel point elle est déconnectée de la valeur attendue par celui-ci.

Allons plus loin.

Le rapport de la Commission de l’American Bar Association sur le « Billable hours » de 2002[16] avait déjà tiré la sonnette d’alarme en relevant les vices de la facturation horaire. Voici ce qu’il indiquait à l’époque (il fallait que je reprenne pour vous ces éléments traduit par le Barreau du Québec ! N’est-ce pas joli ?) :

« La tarification horaire entraine la disparition graduelle de l’esprit de collégialité ce qui a pour conséquence la concurrence entre avocats au niveau des objectifs d’heures facturables ;

La tarification horaire décourage le «pro Bono » car la rémunération des avocats est corrélée au nombre d’heures facturées.

La tarification horaire n’encourage pas la gestion de projet. Par conséquent, elle n’incite pas à la gestion serrée des budgets.

La tarification horaire rend impossible la prédictibilité des coûts. Dès lors, le budget d’heures facturables requiert d’optimiser les heures de chaque mandat.

La tarification horaire met en évidence l”inadéquation entre les heures facturées et la valeur pour le client.

La tarification horaire pénalise les avocats efficaces. En effet, l’avocat n’a aucun intérêt à clore rapidement un dossier.

La tarification horaire décourage la communication avec le client car échanger avec l’avocat se traduit par un coût évalué en « fraction d’heure ».

La tarification horaire encourage la prise de raccourci : L’avocat se prête aux tâches les plus lucratives dans un mandat.

La tarification horaire favorise la duplication et l’excès de procédures : L’avocat procède à la réalisation de démarches souvent inutiles.

La tarification horaire élimine le concept de risques/bénéfices : La totalité du risque est assumée par le client sans obligation de réussite pour l’avocat.

La tarification horaire entrave l’usage accru de la technologie car cette dernière améliore l’efficacité et diminue les prix ce qui n’est pas souhaité par l’avocat.

La tarification horaire conflits d’intérêt avocat/client : Le client souhaite un rendement au meilleur coût tandis que l’avocat souhaite maximiser son temps.

La tarification horaire rend inutile certains coûts pour le client : Risques évidents de défrayer l’incompétence, la formation, l’exagération de factures.

La tarification horaire n’évalue pas la nature des progrès : L’optimisation du temps ne correspond pas à l’obtention de progrès rapides.

La tarification horaire met en avant la concurrence sur la base du tarif horaire : Les avocats se font concurrence sur les coûts plutôt que sur la compétence.
»

Source : La tarification horaire à l’heure de la réflexion. Barreau du Québec 2016.[17]

Je pense n’avoir rien à rajouter car je ne peux pas être plus limpide que l’a été l’ABA.

J’insisterai sur un point qui me semble important : évaluer les compétences d’un collaborateur par le nombre d’heures qu’il facture aux clients est aberrant de même qu’il est totalement incompréhensible de juger un collaborateur au temps qu’il passe au sein du cabinet. Le système de timesheet manque cruellement d’efficacité.

En France, presque tous les cabinets utilisent un logiciel du type SECIB, JARVIS, CICERON…. Les collaborateurs doivent enregistrer leurs temps car les associés doivent pouvoir mesurer leur rentabilité en permanence mais aussi et surtout, facturer le client. Sauf qu’en réalité, ces données sont biaisées en grande majorité. Voici pourquoi : demander à des collaborateurs de rentrer un minimum de 6 ou 7 heures par jour dans le logiciel, c’est les encourager à mentir sur le nombre d’heures ou de minutes rentrées. Oui car il est impossible pour un humain d’être concentré et productif durant 3 heures d’affilées. Il y a forcément des moments de relâchement. En aucun cas les heures enregistrées ne reflètent la réalité. De plus, ce système, tout comme la facturation horaire, a des effets pervers qui ont des incidences au sein même du cabinet avec des répercussions chez le client.

Reprenons un peu de hauteur.

Le problème avec les cabinets d’avocats, c’est qu’ils ont tous, à quelques exceptions près, le même business model basé sur la facturation horaire.

Lorsque l’on observe les acteurs de la bulle « Legaltech et futur de la profession », ils tiennent tous à peu près le même discours : « Les avocats doivent agir et utiliser la technologie pour réussir leur transformation. »

Selon Alexis Deborde, « Les cabinets d’avocats doivent se concentrer autour de deux axes : la relation client et la technologie. »[18] Il a raison sur ces deux axes. Cependant, ils ne suffisent pas car comment libérer du temps pour se consacrer à la technologie ou la relation client (si l’on veut vraiment avoir ces deux axes comme socles du business) si le business model de l’activité repose sur le temps ? Comment l’avocat parvient-il à rentrer dans “ses frais” (comme il le dit souvent) s’il consacre ne serait-ce que 1/3 de son temps sur deux axes qui dans l’immédiat restent sans garantie de rentabilité ?

On voit bien qu’il est donc compliqué pour les avocats de changer de stratégie du jour au lendemain. D’ailleurs, il y a quelques temps, à l’occasion de la soirée-débat : « Quel avocat êtes-vous ? L’ubérisé ou le startupper ? », Clarisse Berrebi indiquait à l’audience que la transformation de son cabinet avait pris quelques années[19].

Comment s’y retrouver ? Comment concrètement peut-on envisager de transformer le business model de son cabinet ? En effet, comme vous pouvez l’imaginer, dégager du temps pour une autre activité que celle de la pratique du métier d’avocat (conseiller, rédiger des consultations, conclusions, plaider…) passe nécessairement par une transformation du business model (sauf bien sûr si le cabinet dispose de ressources financières solides).

Dans la deuxième partie à venir, je parlerai des alternatives possibles à la tarification au taux horaire. Nous verrons précisément comment impacter ces changements auprès du Client mais aussi au sein même des Cabinets d’Avocats.

 


[1] http://ilta.personifycloud.com/webfiles/productfiles/914311/FMPG4_ABABillableHours2002.pdf
[2] https://www.amazon.fr/Implementing-Value-Pricing-Business-Professional/dp/0470584610
“The service the lawyer renders is his professional knowledge and skill, but the commodity he sells is time, and each lawyer has only a limited amount of that”
[3] A lire gratuitement en ligne sur http://www.jstor.org/stable/25712767?seq=1#page_scan_tab_contents
[4] http://www.barreau.qc.ca/pdf/publications/2016-rapport-tarification.pdf
[5] Heures facturables
[6] http://www.barreau.qc.ca/pdf/publications/2016-rapport-tarification.pdf
[7] https://www.doctrine.fr/
[8] http://www.lexdev.fr/
[9] http://www.fidal.pro/documents/julie0001/Juristes_et_associes.pdf
[10] Étude de janvier 2017 de http://www.dayone-consulting.com/
[11] http://www.cercle-montesquieu.fr/global/gene/link.php?doc_id=680&fg=1
[12] Expression tirée de « La grande transformation des avocats » par Thierry WICKERS
[13] http://legalsolutions.thomsonreuters.com/law-products/solutions/peer-monitor/complimentary-reports
“One of the most potentially significant, though rarely acknowledged, changes of the past decade has been the effective death of the traditional billable hour pricing model in most law firms.”
[14] http://www.lactualite.com/societe/quel-salaire-pour-les-avocats/
[15] http://www.ledevoir.com/societe/justice/469981/acces-a-la-justice-un-virage-necessaire
[16]http://ilta.personifycloud.com/webfiles/productfiles/914311/FMPG4_ABABillableHours2002.pdf
[17] http://www.barreau.qc.ca/fr/publications/avocats/tarification/index.html
[18] https://blog.doctrine.fr/%C3%AAtre-uniquement-avocat-ne-suffit-plus-pour-satisfaire-les-besoins-du-march%C3%A9-du-droit-9bd6657f9711#.83hh8s4id
[19] https://www.youtube.com/watch?v=Wf8REkNA2HQ

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Tony LAW

Juriste, consultant et Responsable pédagogique @ Le Juriste de Demain